Vu sur http://www.scarabee.com/article179.html, voici le copier-coller de cet article pour le moins… lol
Marxist reloaded…
samedi 30 août 2003par ARNO*
Octobre 1979. Je descends Unter den Linden d’un pas vif. Suivant le jargon officiel, le camarade météorologue de la télévision nous avait annoncé un temps « vivifiant » ; tout le monde avait bien compris qu’on allait se les geler. Le vent pénètre sous mes vêtements et me mord la peau. Derrière moi, du haut de la porte de Brandebourg, le quadrige de Johann Gottfried Schadow défie l’Occident par delà le mur. L’impérialiste français Napoléon nous l’avait volé, nous l’avons ramené chez nous. Aujourd’hui, les mêmes chevaux narguent l’impérialiste américain et ses complices, retranchés dans leur ville-prison.
Je pense « Der Himmel über Berlin… », le ciel au-dessus de Berlin… Le ciel au-dessus de Berlin se moque des frontières. Aujourd’hui, il vient de l’est ; j’essaie de déchiffrer dans la forme des nuages quelque enseignement venu de la seule démocratie véritable. Mais le froid m’oblige à piquer du nez dans mon col.
Les deux hommes m’attendent devant la porte de mon bureau. Ils portent de grands manteaux gris, des feutres gris, des pantalons gris et des chaussures noires. Ils sont accompagnés de deux Vopos. À mon arrivée l’un des hommes exhibe une carte aux couleurs d’un service de police dont j’ignore l’existence.
Bureau central de la police du peuple, j’attends, seul, enfermé dans une petite pièce.
L’homme au feutre gris me parle lentement, en articulant chaque mot, d’un ton à la politesse forcée qui suinte le mépris : « Bonjour monsieur Handersonn, je suis l’agent Schmidt. Il est inutile de vous défendre, monsieur Handersonn, nous connaissons déjà tout de vous. Officiellement, vous travaillez au service informatique de la Maison du Peuple, où vos états de service sont appréciés. Mais clandestinement, vous êtes un dangereux pirate connu sous le nom de “Mao”. »
Je veux tout nier en bloc : « C’est faux, tout est faux. J’ai toujours été loyal envers le… » L’agent Schmidt m’interrompt d’un geste de la main : « Comment osez-vous prononcer ce mot, vous qui n’êtes qu’un social-traître, un agent à la solde des impérialistes, vous qui avez trahi le Peuple. Oseriez-vous prétendre que le Parti s’est trompé ? Seriez-vous donc, en sus de vos comportements déviants, un sale révisionniste ? »
Je tente de répondre, mais je me rends compte que je n’ai plus de bouche. Entre mon menton et mon nez, il n’y a plus que de la peau, lisse, sans aucune ouverture pour parler. Je commence à paniquer et à suffoquer.
L’agent Schmidt me tend une feuille de papier et un stylo : « Ce sont vos aveux, monsieur Handersonn. Vous y décrivez vos crimes contre le Peuple, ainsi que ceux de vos complices. Eux ont déjà signé. » Je repousse le document de la main. L’homme insiste en adoptant un ton mielleux : « Si vous ne le faites pas pour vous, faites-le pour le Parti. Le Parti a besoin de vous, monsieur Handersonn, il a besoin de vos aveux. Le procès de votre réseau sera exemplaire. D’ailleurs les peines ont déjà été décidées en plus haut lieu. Des peines lourdes, exemplaires comme je viens de vous le dire ; mais ayez confiance, d’ici quelques mois vous serez réintégré et tout cela sera oublié. Et le Parti en sortira renforcé. Je vous le répète : faites-le pour le Parti. Prouvez votre loyauté. »
« Je vous laisse quelques minutes pour réfléchir. »
Je suis debout au-dessus du vide, sur la corniche qui ceinture le cinquième étage du bâtiment. Je me demande quelle mouche m’a piqué de fuir par la fenêtre. Il me semble avoir entendu une voix m’ordonner de fuir.
Une voix qui me parle, ma bouche qui disparaît, maintenant je suis chancelant sur une corniche du cinquième étage ; est-ce que je ne serais pas en train de perdre le sens de la réalité ?
C’est un grand noir, assis dans un fauteuil club. Américain sans aucun doute. À Berlin, les seuls noirs, ce sont des américains. Sans doute la CIA. « Bonjour Mao. Ton évasion des locaux de la Volks Polizei m’a beaucoup impressionné. Cela me conforte dans l’idée que c’est bien toi l’Élu… »
Le type est pris d’un éternuement. Il sort un mouchoir visqueux de sa poche et s’essuie une large coulure sous le nez : « Mon nom est Morvéus. Je serai ton guide hors de ce monde. » Je lui demande comment il compte me faire passer le mur. « Il n’y a pas de mur, Mao, il n’y a que l’illusion du mur. Le monde tel que tu le connais n’existe pas. C’est une invention. Une chimère. »
Il marque une pause et semble s’amuser de mon incompréhension. « Ne t’es-tu jamais demandé comment ton univers socialiste pouvait être aussi parfait ? Pourquoi les journaux que tu lis n’annoncent que des bonnes nouvelles et ne font que vanter la perfection de la société dans laquelle tu vis ? Pourquoi le Parti ne se trompe jamais ? » Je réalise d’un coup qu’effectivement, je vis dans une société où il n’y a pas de misère, pas de chômage, où l’ingénieur est l’ami de l’ouvrier, où la démocratie est parfaite, où les objectifs du plan sont toujours atteints et dépassés… Morvéus poursuit : « Cette perfection n’est qu’une illusion, une invention, destinée à contrôler les humains. » J’interviens : « Ah, oui, l’exploitation de l’Homme par l’Homme. » Morvéus me corrige : « Non, Mao : l’exploitation de l’Homme par la machine. » Et il ajoute, mystérieux : « Le nom de ce monde factice est : “la Marxist”. » Puis : « Le monde de la Marxist est trop parfait pour être réel. »
Tout de même, je tique : « Mais on est en 1979. Les machines ne sont pas intelligentes. Elle ne peuvent ni contrôler ni exploiter les humains. » Morvéus me rétorque : « Encore une illusion : nous ne sommes pas en 1979, mais en 5739. » Je comprends enfin : « Ahhhh, alors vous n’êtes pas de la CIA. Vous êtes du Mossad. »
Morvéus m’explique que dans le vrai monde, il n’y a pas de pont du premier août ni de pont du huit août. Je m’insurge : « Comment, la fête des travailleurs et la célébration de la victoire contre les hordes fascistes ne sont pas fériées dans la vrai monde ? » Il m’explique que dans le vrai monde où les hommes sont vraiment libres, il ne serait pas rationnel d’interrompre le travail des entreprises, alors que justement ce sont les entreprises qui créent de la richesse et assurent ainsi le bonheur dans la société : « D’ailleurs, dans le vrai monde, les mois de février ont 29 jours tous les ans. C’est grâce à cette efficiency que les hommes libres vaincront la Marxist. »
Derrière lui, quelqu’un tousse. « Ah oui, je te présente Annonciation Conception Assomption dos Santos. Pour faire plus court, on l’appelle Trimary. Elle fait partie de notre groupe. » Je regarde la fille : c’est une grande brune moulée dans une combinaison de cuir ultra moulante. D’habitude, le cuir, ça vous potèle, mais elle, alors là pas du tout.
Le brune SM s’approche de moi : « La voyante m’a prédit que je ferai l’amour avec l’Élu. Alors quand je rencontrerai l’Élu, je sais que je ferai l’amour avec lui. Est-ce que c’est toi, l’Élu ? » Je n’hésite pas une seconde : « Oui, oui, je suis l’Élu. N’est-ce pas, Morvéus, que je suis l’Élu ? »
Et histoire de montrer que je prends très au sérieux mon rôle d’Élu, je crie : « Vive le capital ! »
Je me réveille à bord du vaisseau de Morvéus, le Jéroboam, une espèce d’amas de trucs et de machins avec des tuyaux partout et des écrans de vieux ordinateurs branchés avec des pinces crocodiles. C’est un peu comme dans Das Boot, mais en plus sale.
« Il est temps pour toi de commencer ton entraînement, Mao. » Je suis avec Morvéus dans un dojo, on a de chouettes kimonos. Morvéus a une ceinture noire, et moi une ceinture blanche.
« Ne t’inquiète pas, Mao, nous sommes bien dans la Marxist, mais dans une partie de la Marxist très différente du monde que tu connaissais. Un sous-système que nous contrôlons entièrement. » Je cherche à comprendre : « Vous êtes titistes, c’est ça ? »
Et là, Morvéus m’envoie un Agé empi uchi dans les dents. Je me relève, et je lui balance un Maé guéri qu’il bloque d’un Uchi uké. Il tente un Mawashi guéri, je te lui fais un Gédan baraï et je rétorque avec un Manashi empi uchi. Ma ceinture change de couleur pendant notre combat. Elle devient jaune, orange, verte, bleue et puis marron.
Je lui fais un balayage de la mort qui tue, mais il anticipe et saute en l’air en criant : « Position de la grue de jade des trois soleils ! » Je saute aussi en l’air, et je crie : « Par la force des cinq dragons sacrés du douzième empereur ! » Et là, on a comme une sorte d’instant Kodak vachement long.
On reste comme ça en l’air sans bouger, on dirait que c’est le dojo qui fait demi-tour autour de nous, mais pas vraiment parce qu’on tourne avec lui, c’est-à-dire qu’on reste dans la même position alors que tout bouge. Enfin bref, finalement je déplie ma jambe et je lui balance un Fumikomi dans les dents. Ma ceinture est devenue noire.
« Tu vois, Mao, dans la Marxist, tu peux te faire downloader toutes les formes de savoirs et de compétences humaines. Piloter un hélicoptère, voler une moto, parler le Tchétchène. Tout ce dont tu as besoin pour cela, c’est de ce petit téléphone portable de marque Nokia™ qui fait Java. »
Je prends le téléphone et je me fais downloader le programme Rocco Siffredi.
J’attends dans le salon de la voyante. Un petit gamin me nargue en tordant une petite cuillère par la seule force de sa pensée. Je lui montre que moi, je sais bouger les deux yeux indépendamment l’un de l’autre comme un caméléon.
« La voyante va te recevoir, Mao. »
Je pénètre dans une cuisine assez crado où ça sent le graillon. Une vieille me tourne le dos. Sur la nappe en plastique ornée d’un motif de grosses fleurs colorées, il y a une petite assiette remplie de Tuc goût bacon. Au moment où je prends un Tuc, la vieille se retourne et me regarde d’un air entendu. Je remarque : « Vous saviez que j’allais prendre un Tuc, n’est-ce pas ? » Elle sourit : « Bien sûr. Sinon je ferais une piètre voyante… » Ça ne m’impressionne pas plus que ça : « Oui, bon ben, quand il y a une assiette de Tuc, tout le monde prend un Tuc, y’a pas à être devin, non plus. »
Je me goinfre le Tuc et j’en prends un deuxième dans l’assiette. Je tique : « Mais vous saviez que j’allais en prendre un deuxième. » Elle : « Bien sûr ». J’enfourne le deuxième Tuc et je crachote des miettes : « Ch’est que ch’est vachement bon, ches chaloperies. Quand on commenche, on peut plus sh’arrêter. Même moi, jh’aurais pu le prévoir. »
Mais la vieille, sans que j’aie rien demandé, pose un verre d’eau devant moi, dans un geste ostensiblement cérémonieux. Là je suis scié : « Ohhh, et vous chaviez que jh’aurai bejoin d’un verre d’eau ! » Alors je quémande : « S’il vous plait, dites-moi mon avenir. Si ça peut aider, je suis taureau ascendant sagittaire. »
La voyante prend le temps d’un long silence, et m’assène : « Je suis désolé, Mao, mais tu n’es pas l’Élu. Morvéus s’est trompé. »
Trimary m’interroge : « Alors, ça c’est bien passé avec la voyante ? Tu sais qu’elle ne se trompe jamais, hein. La preuve, elle m’avait prédit que je coucherais avec l’Élu, et maintenant nous sommes ensembles. »
Je biaise : « Il y a comme qui dirait une mauvaise nouvelle. Mais si tu veux bien, je préfère qu’on fasse l’amour tout de suite, et je te raconterai la nouvelle après. »
L’agent Schmidt me rejoint dans la station de métro de la Potsdammer Platz. Il m’envoie environ 240 bourre-pif en moins de trois secondes, mais je lui fais Agé empi uchi, puis Maé guéri, puis une série de Yoko empi uchi, puis une tripotée de Ushiro guéri hypra-méchants, ensuite je crie « Puissance du lotus inébranlable du printemps des princesses » et je l’envoie valdinguer sur les rails du métro. Bizarrement, on a encore un instant Kodak.
Trimary me lance un filin depuis un hélicoptère, mais ça merde et finalement je me retrouve en train de retenir l’hélicoptère à la seule force de mes mains.
J’arrive enfin dans la grande ville souterraine de la résistance humaine, Babylone ; je fais l’amour avec Trimary, du coup Morvéus organise une grande messe religieuse en mon honneur.
Ça se passe dans une immense grotte et il y a plusieurs milliers d’humains et d’humaines habillés de peaux de bêtes. Morvéus parle devant la foule : « Moi j’ai la foi. Nous autres fascistes sommes les seuls vrais anarchistes. » La foule l’acclame. Je me demande si je n’ai pas raté un épisode.
Et là, tous les humains se mettent à danser sur de la techno tribale.
Comme je m’ennuie, j’essaie de taper la conversation avec un des teufeurs : « Alors comme ça, toi aussi tu as mangé la petite pillule rouge ? » Le type a les yeux explosés : « Ouais, man, ici on gobe tous des pillules de toutes les couleurs. C’est cool, man. »
Mais pendant ce temps, les machines creusent la terre en vue d’annihiler Babylone.
Le carolingien nous casse les burnes avec des histoires d’accumulation primitive du capital et de socialisation des moyens de production : « Parce que vous, les humains, vous êtes en pleine aliénation capitaliste, vous n’êtes pas foutus de passer des prolégomènes à la rationalité du socialisme scientifique, le lien de causalité ne vous intéresse pas, vous ne savez même pas pourquoi vous êtes réellement là. » et d’ajouter : « Putain de bordel à queue de saloperie de fils de pute de mes couilles ! » Je lui rétorque que le matérialisme historique influencé par la dialectique hégélienne, ça va bien cinq minutes, mais nous faut qu’on sauve la planète.
Ensuite on fait un peu de moto, on fait sauter une centrale nucléaire rien qu’en la mettant au soleil, toute la ville de New York est plongée dans un black-out, je fais de la parlotte avec un architecte qui me vante les mérites de la Cité radieuse, je sauve Trimary qui se casse encore la gueule du haut d’un immeuble, et les machines détruisent quand même Babylone.
Et je te me fais un coma dépassé alors que c’est la veille du grand soir des lendemains qui chantent. C’est pas de bol.
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