Voici quelque chose que j’ai retrouvé grâce à Motenai, pour votre plus grand plaisir:
les aventures trépidantes de Jaja chez le psy!
Une exclusivité 23RnD/EzT
Un immeuble haussmanien. Un bureau cossu. Bois sombre, lampe de bibliothèque à l’éclat émeraude, rideaux safran.
Deux hommes.
Un psychologue. La quarantaine, front dégagé, cheveux poivre et sel, costume de lin bistre. Il tient, dans sa main droite, des lunettes en écaille.
En face de lui, sur un canapé de cuir noir, le jeune homme s’est allongé. Il renifle nerveusement et tient les bras croisés. Attitude défensive.
Le psychologue s’éclaircit la gorge, esquisse un sourire et pose délicatement ses lunettes sur le buvard de son bureau.
- Bon… Mathieu…comment vous sentez-vous ?
- Ca va, répond ce dernier d’une voix maussade.
- Vous semblez fatigué ?
- Une LAN… j’ai grave les eyes…
- Autrement dit, vous êtes fatigué.
- C’est le sujet.
- Hum… Nous nous sommes arrêtés à ce rêve, la dernière fois. Voulez-vous que nous y revenions ?
- Ouais…pourquoi pas ? lâche le jeune homme d’une voix laconique.
Le psychologue attrape une feuille et chausse ses lunettes. - Un désert…une orgie. Des moustiques géants et des…cochons qui copulent.
- Oui… Des putains de STIKS et des PIGS.
- Ce sont les noms de ces…clans que vous rencontrez dans le monde virtuel.
Le jeune homme se redresse, la bouche plissée : - Virtuel, mon cul ! Quand ces enfoirés te collent un HS, c’est tout sauf virtuel !
- Vous avez le sentiment de mourir ?
- J’ai pas le sentiment, tin ! Je suis mort. Point final.
- Point final…hum. Dans votre jeu, il me semble pourtant que vous ressuscitez. Non ?
Le jeune homme pousse un soupir. - Je ne ressuscite pas… Je recommence au spawn.
- Le spawn, c’est cet endroit où vos avatars réapparaissent, n’est-ce pas ?
- Ouais, un truc comme ça.
- Revenons à ce rêve. Vous me disiez que vous vous êtes réveillé lorsque les créatures, ces moustiques géants et ces cochons, se sont retournés vers vous et ont crié, je cite : " Jaja, y sait pas rusher ! ".
Le jeune homme se raidit et jette autour de lui un regard désemparé : - C’était horrible. Tin, cette image me hante la face. Ils étaient des milliers, dans ce désert. Y copulaient comme des bêtes et, d’un seul coup, ils se retournent tous vers moi pour crier ça.
Les yeux du jeune homme se mouillent. Le psychologue retire ses lunettes. - Faisiez-vous la différence entre hommes et femmes au cours de cette orgie ?
- Non. Ca forniquait dans toutes les dunes. Une vraie boucherie.
- Hum… Vous aviez envie de participer ?
- De les baiser ? Putain, non ! Puisque je vous dis que je suis pas gayz !
- Passons…Vous avez parlé, une fois, de ce roc. Cette créature froide et silencieuse qui apparaissait sous la forme d’un pic en forme de phallus.
- Pas de phallus, merde ! Juste une image pour cet enfoiré d’Ice Man qui dit rien mais qui repeint une team entière avec un petit sourire.
- Je vois… Revenons à ce rêve. Vous parliez d’une scène qui vous a durablement marqué. Parmi ces moustiques géants, certains sodomisaient des cochons avec une brosse à chaussure…
- La brosse, ouais.
- Serait-ce ce " Brush "dont vous parlez parfois ? Votre manière de symboliser cet individu dans votre rêve ?
- Chais pas…
- Vous évoquiez également le ciel… Vous y voyez des faucons entrelacés avec des caniches…rasés ainsi que des poissons et des…gladiateurs ailés. Tous volent dans le ciel et semblent à leur tour vouloir copuler.
- Pas très compliqué. Le faucon, ça doit être Sky… Le caniche, c’est Guyzmo… Et le poisson, Discusland.
- Hum…Et le gladiateur ?
- Maximux.
- Je vois… Je décèle dans ce rêve une paranoïa exacerbée…un sentiment compulsif ou plus exactement un sentiment fusionnel entre la réalité, votre homosexualité latente, et le monde virtuel, essentiellement masculin, dans lequel vous évoluez.
- Cimer… grommelle le jeune homme. Vous comprenez rien…
- Je ne cherche pas à comprendre mais à interpréter, Mathieu.
- Et ta mère, elle interprète ta mère ?
- Pardon ?
- Laissez tomber…
- Hum…
- Ce rêve, c’est évident. Pas besoin de chercher super loin. J’ai juste envie de faire les fesses à ces gros nains de STIK-MOO et de PIGS.
Un sourire condescendant effleure le visage du psychologue. - Faire les fesses à des nains…
- Ca va…ça va. C’est juste une façon de parler.
- C’est précisément votre façon de parler que je m’efforce d’interpréter, Mathieu.
Il ouvre un dossier pour retirer une feuille et jette un œil dessus : - Dans une séance précédente, vous disiez par exemple : " Ca me vénère, ces nains, qui savent pas rusher b1. Des sales campouses… " Cette phrase, vous vous en doutez, est extrêmement intéressante. Tout comme celle-ci, je cite : " Le teamplay, c’est la vie. Ces gros bâtards qui tiennent pas leur position, ça me saoule grave la face. " Ce monde virtuel dans lequel vous évoluez… ce monde peuplé de " nains en short ", de " gros gays " ou de " rush vénère "…eh bien, ce monde-là appartient incontestablement à une utopie masculine.
- Si vous le dites…
- Une utopie masculine où les rapports de force s’établissent sur les bases d’une hiérarchie de type militaire où ce que vous appelez le " skin " définit a priori une échelle comportementale.
- Rien compris.
- Si vous êtes " contre-terroriste " ou " terroriste ", vous réagissez de manière opposée, n’est-ce pas ?
- Ouais…
- Nous en avons déjà parlé mais cette bipolarité représente à coup sûr un complexe freudien, dit de Janus. Une opposition singulière d’un conflit homme-femme à travers le prisme virtuel.
- Ca va dire quoi, putain ?
- Que le choix d’un camps est déjà le choix d’une vie.
- Ca veut dire surtout que les nains qui se collent en CT sur Dust, c’est des gros gayz ! Si t’as des burnes, tu passes terro, tu rushes b1 et point barre.
- Nous y sommes, Mathieu. Vous choisissez le terrorisme, autrement dit la révolution. Vous niez le conformisme, vous voulez agir en dehors des normes.
Le psychologue pose ses lunettes et poursuit, la voix chaude : - En sommes, vous tuez votre père, figure de l’ordre et de la mesure. Votre père, c’est le contre-terrorisme. La facilité, l’obéissance… Tandis que le terrorisme symbolise incontestablement votre mère. Ce " rush " fusionnel que vous évoquez constamment et qui, selon vos propres dires, ne réussit que si tous les terroristes sont ensembles…eh bien, ce " rush " incarne votre désir freudien. Une ruée imagée des spermatozoïdes vers la lumière…vers ce " B1 " dont vous parlez.
- Et quand je rushe milieu ?
Le psychologue sourit à nouveau : - Votre culpabilité. Vous niez votre désir. Vous refusez cette course éjaculatoire, vous prenez un chemin de traverse pour échapper au Désir originel. L’ombre qui règne dans ce couloir est une image fœtale. Vous courrez vers " B1 " pour sortir encore et encore du ventre de votre mère. Chaque pas vers " B1 " symbolise votre marche vers la lumière, autrement dit l’abandon progressif du monde de l’enfance. Vous vous dirigez vers la lumière, le monde des adultes, ce monde où vous assumerez le Désir.
- Ben merde…
Le psychologue se saisit d’un cahier et l’ouvre. - Durant une séance, vous évoquiez ce " tempo sous l’arche ". Voilà l’expression pleine et entière de votre peur de l’âge adulte. Vous préférez l’obscurité fœtale au chemin de la maturité. Vous attendez vos adversaires. Ce qui revient à dire que vous laissez aux adultes le soin de venir à vous. Vous refusez de tuer votre père, le contre-terroriste…vous refusez le Désir de votre mère pour demeurer dans son ventre. Vous comprenez ?
- Putain, ouais, je comprends… souffle le jeune homme. Mais alors, la bombe, c’est quoi ?
- L’explosion primale. Le Désir assumé. L’âge adulte, tout simplement.
- Donc si je fais péter le c4, je suis adulte, c’est ça ?
- En quelque sorte…
- Ben…si on continue dans votre délire…c’est quoi, alors, le rush tunnel ?
- Lorsque vous êtes terroriste, que ressentez-vous en empruntant ce tunnel ?
- Je serre les fesses, putain. Suffit qu’un gros nain se colle au point de snipe et c’est la boucherie. Sans compter les terros… ces tafioles qui s’arrêtent au premier coup de feu et qui se planquent derrière les caisses. Des mecs qui méritent même pas de jouer à CS !
- Hum… "Vous serrez les fesses "… Ce " snipe ", si mes souvenirs sont bons, représente un fusil de précision, n’est-ce pas ? Une arme longue et fatale ?
- Ouais. L’artic, quoi. Une arme de tafiole.
- Intéressant… " Une arme de tafiole ". Il me semble que nous avons là un faisceau de circonstances indubitables sur cette homosexualité que nous évoquions précédemment.
Le visage du jeune homme se crispe : - Mais puisque je vous dis que je suis pas…
- Je sais, Mathieu, je sais. Vous n’êtes pas " gayz ", ne vous énervez pas. Tâchez de prendre du recul, d’être à l’écoute… Il faut se rendre à l’évidence. En vous précipitant dans son tunnel, vous courrez à la rencontre d’un homme doté d’une arme longue et fatale. Autrement dit, vous courrez, de manière presque suicidaire - nous y reviendrons - vers un phallus… Je devrais dire…le Phallus.
- Putain, mais c’est n’importe quoi !
- Restez calme…et écoutez-moi. Ce Phallus s’incarne à l’extrémité d’un conduit… Vous voyez ? Allégorie flagrante de la cavité anale ! Le mythe de la pénétration et de la fellation sont ici réunis dans un même itinéraire initiatique, une quête de la virilité qui se termine nécessairement par la mort. Celle de l’orgasme, bien entendu…la petite mort.
- Il va payer son taquet, ce bâtard…murmure le jeune homme.
- Vous dites ?
- ….
- Hum…L’orgasme, donc. Vous défiez l’homme en face de vous…ce " sniper ". Et vous répétez ce processus éternellement… A vrai dire, il me semble même que vous puissez être ce Sisyphe moderne et homosexuel évoqué par Maleski. Votre rocher, c’est cette homosexualité refoulée. Vous vous précipitez vers le Phallus mais vous espérez mourir avant d’y parvenir. Maleski aurait peut-être préféré vous imaginer en Icare, adolescent en mutation qui rêve de se brûler les ailes au soleil de la virilité…Une quête primale de la maturité sous l’angle d’une autre sexualité.
Un silence. Le jeune homme se pince les lèvres et marmonne : - Si je pige bien, quand je décide de rusher tunnel, je suis un gayz, c’est ça ?
- Non, vous n’êtes pas " gayz ". Vous interrogez votre sexualité. C’est tout à fait différent. Ce " rush tunnel " ne pose qu’une seule question : dois-je mourir sous la balle d’un sniper, autrement dit, suis-je passif ? Ou dois-je agresser ce sniper et dépasser le tunnel pour le tuer ? Autrement dit, adopter un comportement actif… Vous comprenez ? Actif ou passif… la manière dont vous vous définiriez dans un couple homosexuel.
- Ok… je commence à piger. Si on résume là, tout de suite… Je rushe b1, j’essaye de quitter le ventre de ma mère et si je rushe tunnel, je suis un gros gayz, c’est ça ?
- D’une certaine façon… fait le psychologue en hochant la tête.
- Ben merde…
- La séance est terminée, Mathieu.
- Ah ouais ? Bon…
- La prochaine fois, j’aimerais que nous évoquions ces " binds " et cet ensemble de codes qui pose les bases du langage au sein de votre univers virtuel. Vous y songerez, d’accord ?
Le jeune homme acquiesce. Le psychologue se lève et, d’un petit geste de la main, l’invite à quitter son cabinet. Echange d’une brève poignet de mains.
Celle du jeune homme est moite.
Mathieu Gaborit (aka Jaja pour les intimes